On ne peut s’empêcher de ressentir de la compassion pour Joseph «Joe » Sumner. Et pourtant, il est beau garçon, est l’un des héritiers d’une fortune colossale, est un artiste doué et reconnu, auteur, compositeur, multi instrumentiste, chanteur et même diplômé en science environnementale! Non, ce sentiment de pitié vient du fait que Joe Sumner quoiqu’il fasse ou dise sera toujours comparé à son père : l’illustre Gordon Sumner alias Sting.
Même si Joe Sumner donne l’impression de fournir le bâton pour se faire battre: il chante et joue de la basse dans un trio Pop/Rock comme son géniteur avant lui, il n’est pour rien dans le fait que la nature lui ait conféré la même voix haut perchée que son célèbre parent. Et à en croire le succès de leur 2ème album «Left Side Of The Brain », cette similitude ne serait pas pour le desservir…
Rencontre exclusive pour artistik rezo avec un artiste sensible et attachant.
-Quel âge as-tu Joe? JS: 32 ans.
-Où es-tu né et où as-tu été élevé? JS: Je suis né à Newcastle mais j’ai été élevé à Londres.
-Ton père n’est-il pas lui aussi originaire de Newcastle? JS: Exact, il y est né et y a été élevé. Mais trois semaines après ma naissance, la famille est partie à Londres car il faisait trop froid dans le nord de l’Angleterre.
-Quand as-tu commencé à chanter? JS: Vers l’âge de 16 ans. J’ai découvert Nirvana et j’ai formé un groupe.
-Quand as-tu réellement décidé d’en faire ton métier? JS: Je pense que j’ai pris la décision à 16 ans, mais je n’ai jamais vraiment franchi le pas avant l’âge de 25 ans. Mes principes me dictaient d’être anti-business, d’être contre tout ce qui portait l’étiquette « corporation », contre les maisons de disques. C’était alors ce en quoi je croyais (NDLR: il poursuit momentanément l’interview dans un français presque sans accent). J’étais contre tout le monde, contre le fait de devenir connu et de vendre mes chansons car on ne monnaye pas ce qui vient de l’âme et le parcours avant de gagner sa vie dans la musique me semblait jonché de trop de concessions.
-C’était une crise d’adolescence un peu tardive? JS: (rires) Oui c’est çà, elle est presque terminée aujourd’hui.
-Ton père t’a t-il encouragé à suivre cette voie? JS: Il ne m’a jamais dissuadé de le faire en tout cas.
-As-tu pris des cours de chant? JS: Je n’ai pris que deux cours de chant dans toute ma vie, le premier à l’âge de 24 ans en urgence car j’étais en tournée et j’ai eu une extinction de voix; on m’a conseillé de ne pas forcer autant et de ralentir le rythme des concerts. Le deuxième cours a été pris il y a trois jours en fait, on m’a conseillé d’ouvrir plus grande ma bouche en chantant. Je n’ai jamais pris de cours lyriques non plus.
-Et ton père ne t’a jamais donné quelques tuyaux pour utiliser ta voix au mieux? JS: Non jamais. Initialement, je chantais dans un groupe réminiscent de Nirvana et je réalise aujourd’hui que je chantais alors tout le temps extrêmement haut. Ce n’était pas un problème en studio, mais sur la route lorsque je chantais haut perché dix soirs d’affilée, je me bousillais littéralement la voix. Aujourd’hui j’ai appris à trouver l’énergie vitale nécessaire pour couvrir le son de la guitare et de la batterie dans des lieux exigus.
-Après le grunge, vers quel style as-tu évolué? JS: Vers un style plus expérimental à la Mr Bungle (NDLR: avec Mike Patton, l’excellent chanteur de feu Faith No More) ou Primus. J’étais chanteur/guitariste, puis j’ai joué de la batterie dans plusieurs formations; ce n’était pas convainquant car je n’étais pas bon. Après cet intermède, j’ai formé le groupe Fiction Plane en 2000.
-Après deux albums distribués partout dans le monde, n’as-tu pas renié tes principes d’antan et vendu ton âme aux gros labels? JS: (Rires) Ce principe un peu puéril n’en était pas vraiment un, il masquait en fait une vraie peur. La peur de réussir…ou d’échouer… Maintenant c’est bon: j’ai compris qu’il faut toujours faire ses preuves.
-Pourquoi être passé de la guitare à la basse? JS: Pour deux raisons. Premièrement, le bassiste de Fiction Plane a quitté le groupe et ça semblait plus simple que je me mette moi-même à la basse plutôt que de rentrer dans un processus d’audition et d’avoir à intégrer un nouveau membre et tout ce que cela comporte comme changements dans l’équilibre précaire d’un groupe. Deuxièmement, parce qu’après m’être essayé au chant et à la basse, j’ai immédiatement découvert que c’était la meilleure chose à faire pour moi car ça me laisse plus d’espaces pour le chant. Les fréquences sonores de la voix étant hautes et celles de la basse plus graves, le tout devient plus simple, alors qu’en tant que guitariste la tâche se compliquait à cause des fréquences communes à la guitare et au chant. Je trouve aussi que le réglage de son est bien plus simple à faire sur une basse.
-Justement, il y a une grande similitude entre ta voix et celle de Sting, ton père. Comme lui, tu es bassiste-chanteur, tu as ouvert pour « The Police » avec ton groupe sur toute la tournée de reformation en 2007 et à présent tu foules les planches du théâtre du Châtelet à ses côtés pour interpréter un opéra « Welcome to the voice ». Ne t’attires-tu pas ainsi les foudres des critiques? JS: Oui, même si je suis globalement autonome. J’ai découvert que de toutes les façons, que je sois totalement indépendant de lui, comme ça a été le cas dans le passé, ou associé à un projet ou une tournée avec lui, les gens trouveront toujours à redire. J’ai déjà eu mauvaise presse à cause de cela avec un groupe dans le passé. Et même lorsque je nettoyais les excréments d’animaux au zoo de Regent’s Park à Londres, c’était pareil; certains étaient suspicieux quant à ma sincérité. Je ne pourrai jamais me soustraire à ce poids. Quoique soit ma relation à lui, je serai toujours critiqué; alors critiqué pour critiqué, je préfère maintenant profiter de ma position.
-Après avoir évoqué ce qu’il y a de pire dans le fait d’être le fils de Sting, peux-tu nous dire ce qu’il y a de meilleur? JS: C’est d’être le témoin d’expériences inédites comme d’avoir à subir des personnes vaines, ennuyeuses et fausses. Observer ce petit monde superficiel est intéressant.
-Quelle est selon toi l’idée la plus fausse que les gens se font de Sting? JS: Je ne saurais dire. J’ai l’impression qu’ils se trompent sur toute la ligne.
-Et l’idée la plus fausse, qu’ils se font de toi, Joe? JS: Ils se trompent aussi sur toute la ligne. Vraiment.
-Parlons de « Welcome to the voice ». Comment t’es tu retrouvé à jouer et chanter dans cet opéra mélangeant voix lyriques et profanes? JS: La librettiste, le compositeur et le metteur en scène sont venus voir Fiction Plane en concert à Paris au Nouveau Casino en octobre 2007 et m’ont proposé le rôle de l’ami de Dionysos (NDLR: ce dernier joué par Sting) dans la foulée. J’ai accepté, pensant que ça me ferait des vacances et une expérience intéressante à vivre.
-L’ampleur du défi à relever ne t’a-t-elle pas effrayé? JS: Je n’y ai pas pensé une seconde.
-Lorsque tu as accepté le rôle, savais-tu que ton père ferait partie du casting? JS: Non, je ne le savais pas.
-Il n’ a donc pas œuvré pour que tu fasses partie de la distribution? JS: Non, du moins pas directement. Peut-être que ceux qui m’ont supervisé avaient une petite idée derrière la tête… mais elle ne venait pas de moi. Je connaissais le travail de Steve Nieve (NDLR: le pianiste) au sein des Attractions, le groupe d’Elvis Costello, mais pour mes premiers pas dans un Opéra, j’ai surtout été impressionné par les cantatrices: talentueuses, vocalement puissantes avec des techniques de chant incroyables en particulier Sylvia Schwartz, qui pour une diva est très sympa; c’est assez rare car elles sont souvent précieuses.
-Est-ce la première fois que tu partageais la scène avec Sting? JS: Oui, la première. C’est étrange non? Hormis la fois à Hawaï où, pour notre dernière date en commun, The Police et Fiction Plane ont joué ensemble sur « Next to you ». C’était bien.
-Qu’est-ce que tu admires le plus chez lui? JS: Sa faculté à ne pas se laisser atteindre par les critiques. Ca ne le déprime pas vraiment ni ne le met réellement en colère. Contrairement à moi, parfois… Je pense que le succès aide aussi à s’immuniser contre les critiques qui peuvent être blessantes.
-Quelle est la prochaine étape pour Joe Sumner en tant que chanteur/musicien? JS: Ce sera de composer et d’enregistrer notre nouvel album et de progresser en tant que chanteur. On a quelques titres de prêts qu’on jouera ce soir à l’Elysée Montmartre, mais la moitié de l’album à venir reste encore à faire. Mais je pense dès à présent qu’il sera plus « groovy », plus « funky », plus adapté à la scène que le précédent.
-Quels sont tes deux groupes préférés? JS: The Long Blondes et… Nirvana à la période du 1er album « Bleach », mon favori.
-Les deux chanteurs t’ayant le plus influencé? JS: Kurt Cobain et Jeff Buckley.
-As-tu eu la chance de voir Jeff Buckley en concert? JS: Non, j’ai décliné l’invitation qu’on m’avait faite pour assister à l’un de ses concerts. J’avais vu une photo de lui dans un magazine et j’avais pensé que c’était un « branleur » … et je n’y suis pas allé…j’ai vite regretté !!!
-Quels sont tes guitaristes et bassistes favoris? JS: C’est étrange mais je n’ai jamais vraiment focalisé mon attention sur les bassistes. Pour les guitaristes, j’aime beaucoup ceux dont je ne comprends pas le travail. Comme Jonny Greenwood de Radiohead, dont je n’arrive pas à saisir comment il parvient à jouer ce qu’il compose.
-Quels sont ton livre, ta pièce de théâtre et ton film préférés? JS: Le livre: « Guerre et Paix » de Tolstoï, « Festen » tirée du film danois de Thomas Vinterberg pour la pièce et « Star Wars » -épisode 4- la version originale de 1977 et aussi « (This is) Spinal Tap », dont je ne me lasse jamais, pour les films.
-Où résides-tu Joe? JS: Nulle part, je n’ai pas d’appartement car je suis toujours en tournée. J’habite dans le « tour bus ».
-Et si tu devais choisir un continent où poser tes valises, tu choisirais l’Europe ou l’Amérique? JS: L’Europe car j’aime les endroits où les gens parlent des langues différentes.
-Pourrait-t’on avoir ton opinion sur l’élection de Barack Obama aux USA? JS: Je suis très content qu’il ait été élu. C’est la victoire du bon sens. Vu le discours qu’il tient, c’est logique qu’il ait gagné. Mais c’était le même cas en Angleterre avec Tony Blair jusqu’à ce qu’il arrive au pouvoir et perde la tête ! C’est rassurant de savoir que le pays le plus puissant du monde a enfin un président qui parle correctement l’anglais ! Enfin !!! Mais soyons vigilants car jusqu’à ce que Blair cautionne les agissements de Bush, il faisait un sans faute, était cohérent et sensé. Il a brisé le cœur de notre nation, s’est vendu à la solde de l’Oncle Sam et a perdu toute crédibilité par la suite. Il a trahi son peuple et ce n’est pas une mince affaire. Et dans le monde arabe, nous passons pour un pays qui s’autorise tout, sur une terre qui n’est pas la sienne. Nous sommes les agresseurs et non les agressés.
-As-tu quelque chose à ajouter pour conclure cette interview? JS: Je suis vraiment très heureux de me produire à nouveau en France, qui est pour Fiction Plane le pays où l’accueil est le plus enthousiaste de toute la planète. Depuis plusieurs années, ça ne s’est jamais démenti, le public français m’impressionne car il est réceptif et chaleureux et conditionne ainsi le bon déroulement du show. Lorsque j’étais adolescent, je pensais que l’Angleterre était le meilleur endroit au monde, je n’aimais pas l’Allemagne à cause de la guerre de 39/45 et je me sentais supérieur du fait même d’être britannique. Plus maintenant ! Aujourd’hui, Londres est pluri-éthnique et mon métier me fait découvrir d’autres cultures, me confortant dans l’idée que la différence nous enrichit au delà de toute attente.
(Notez que Fiction Plane se produira le 16 Juillet 2009 au festival “Les Vieilles Charrues” à Carhaix avec Bruce Springsteen & the E-street band, The Killers…)
Propos recueillis par Jett Eviland
Site officiel de Fiction Plane: www.fictionplane.net |